Extrait de Helix, théâtre jeunesse (commande de la Cie La Chaloupe) 2021

 

 

Après la caverne, il faut vous dire qu’Helix et Auroch ont repris la route.

 

 

on a marché sur les crêtes du monde on a mâché des graines de gnoc qui font la bouche pâteuse pour rigoler on a soufflé sur les nuages pour les faire s’enfuir

 

 

Il faut vous dire que rien n’était prévu, alors Helix et Auroch ont tout essayé.

 

 

on a cueilli des fruits pas mûrs on a crié au bord du précipice on a chanté des chansons bêtes jusqu’à tomber de sommeil on s’est blessé·s au sang et on a mis des pansements

 

 

Parfois, c’était difficile. Parfois, tout était évident.

 

 

on a construit des maisons des radeaux des échelles des outils on a inventé le jus d’amiamilys qui secoue les papilles et la danse de la fraise épuisée on a parlé des langues secrètes qui se sont mises à exister, on a joué a Géronilafeuille et à Lacelimace

 

 

Et puis, une nuit, Helix a dit : demain, je vais rentrer à la maison.

 

Auroch a dit : c’est pas vrai.

 

Helix a dit : si.

 

Auroch a dit : pourquoi ? On n’est pas bien, ici ?

 

Helix a dit : on est bien, mais maintenant j’ai envie de revoir ma maman, mon papa, mon frère et ma sœur.

 

Auroch a dit : et moi alors ? Je vais faire quoi ?

 

Helix a dit : tu pourrais rentrer, toi aussi, à ta vraie maison.

 

Alors Auroch s’est fâchée rouge-feu, elle a frappé du pied et fumé des naseaux. Elle a démoli la cabane avec son grand bâton et elle a crié : je n’ai pas de maison. Je suis Auroch qui s’en va toute seule et tous les lieux se valent pour moi. Va-t-en puisque c’est comme ça. Tu n’es rien pour moi. Va-t-en.

 

 

Helix est parti·e sans se retourner, ses pas étaient très lourds, ses yeux tout mouillés. C’était affreux.

 

 

Derrière, ni trop loin, ni trop près, quelqu’un marche. Quelqu’un suit les traces d’Helix. Quelqu’un se cache dans les buissons pour ne pas se faire voir. Mais Helix a l’oreille fine. Helix entend tout.

 


Poésie jeunesse pour le spectacle Un secret perché (Cie Marie-Louise Bouillonne) 2018-2019 - extraits

 

avec ces craies, avec les couleurs de ces craies, je dessinerai tout ce qui pousse ici tout ce qui sonne tout ce qui sent ce qui raisonne ce qui surprend ce qui se terre et tout ce qui se rêve aussi

 

tout ce qui souffle ce qui se plie ce qui se lance au vent de mars ce qui s’élance dans la prairie tout ce qui creuse des galeries ce n’est pas tout

 

ce galet lisse, ce grain de blé, grain de sable qui crisse

 

sous la dent cette cerise à l’oreille et ce goût

 

de réglisse une goutte de rouge dans le bleu et le temps

 

d’une respiration la rondeur de ses bras qui enlacent et aussi

 

une souris qui fuit et laisse de petites traces sur le sol blanc

 

ce n’est pas tout, possiblement

 

ce qui serpente dans la nuit, ce cri de chouette, ce croassement

 

perché sur l’arbre-saule qui pleure et ce cri-cri

 

de cigale qui rit, ce bruissement, et les lentilles dans l’étang comme des taches de rousseur

 

ce n’est pas tout, cela encore, et ça, ceci, comme ça, aussi, voilà, ainsi, voilà, c’est ça, voilà, voici

 

***

 

 

je te dirai ce qui crépite ici dans ce creux ce creux de moi

 

je le dirai avec mes mains de pain blanc, avec mes yeux d’aujourd’hui, avec ma voix d’abeille

 

je le soufflerai là, au doux tout doux de ce creux de ce creux de ton cou

 

et cela, cela

 

fera se dresser le pelage de ton bras comme savent danser les grandes herbes des prés

 

***

 

Oh ! Mon secret s’est échappé !

 

Caché je l’avais, dans une graine de courgette et glop ! un oiseau l’a mangé !

 

Gobé, tout rond, l’oiseau tout blanc, perché, qu’il est, sur l’arbre le plus grand et mon secret

 

il le siffle à tous les vents !

 

***

 

 

chut

 

je me suis couchée

 

dans le lit de la rivière

 

chut chut j’entends

 

les grains de sable ronfler dans le courant

 

pchhhh pchhhh

 

des poissons-vaches, tachés de noir, de blanc

 

broutent gentiment dans le champ de mes longs cheveux

 

ça chatouille

 

pchhhhhhhh

 

j’ouvre mes écoutilles, oreilles de coquilles, coquillages d’argent

 

et les grenouilles en rigolant viennent y cacher leurs œufs brillants comme des billes, chut, chut

 

écoute

 

pchh pchh pchh pchh

 

ça chuchote, là-dedans

 

 

 

 

 

***

 

au cœur de notre chambre

 

une caverne qui sent l’ours

 

au cœur de la caverne

 

un gros caillou gris qui glousse (tous les jours à trois heures douze)

 

au cœur du caillou

 

un désert de dunes rousses

 

au cœur du désert

 

un dromadaire

 

et dans sa bosse un petit air

 

de blues joué par un orchestre de trois pouces et

 

au cœur de la musique une clé

 

qui ouvre une petite chambre

 

notre chambre

 

où nous gardons tous nos secrets

 

 

 

 


Ceci est un Bombyx mori (bombyx du mûrier). La photographie a été prise par Ash Bowie
Ceci est un Bombyx mori (bombyx du mûrier). La photographie a été prise par Ash Bowie

Alexandrins pour le Bombyx mori (bombyx du mûrier)
(écrit pour l'édition 2015 du festival
Boulegan a l'Ostal - Saint-Jean-du-Gard - 30)

Ce poème je le dédie et le dis, moi
À toi, qu’injustement l’on nomme ver à soie.
Fi des discours fielleux de tes détracteurs !
Clamons la vérité, d’un élan rédempteur :
Tu n’as rien du ténia pas plus que du lombric
Ô toi l’infortunée chenille domestique !

Dès le sortir de l’œuf, en bon bétail captif
Tu t’emploies à combler ton tube digestif.
Oh comme tu consommes, que tu engloutis
Les feuilles du mûrier, avec quel appétit !
Grandir et s’alourdir, engraisser, épaissir :
Saine activité. Dépêche. Elle va finir.

Ayant multiplié ta taille par dix-mille

On t’accorde parfois de devenir nubile.
Si tu réussis bien ta transformation
Tu peux enfin goûter la vie de papillon.
Alors, jusqu’à la mort, belle princesse obèse
Tu ne manges plus, tu ne bois plus mais tu baises.

Ton maître, émérite en manipulations
De tes gentils atours fit la sélection
Et il sut te doter comme une concubine :
Doux manteau moutonneux, pompeux et protecteur
Antennes-éventails, postérieur producteur
Ailes de pacotille aux airs de crinoline.

Piètre lépidoptère qui ne sait voler !
On t’attrape, on te trie, tu te fais bricoler.
Sage, tu files doux, confiant, tu ne dis rien
Occupé que tu es à tes petites tâches.
La plus soignée méritant que l’on s’y attache
C’est le tissage fin du cocon aérien.

C’est alors que le maître, exploiteur sans pitié
 - Point de magnanimité chez les magnaniers -
Ébouillante ton nid, t’étouffe, pauvre esclave
Et de tes deux glandes productrices de bave
Tire un immense crin qu’il dévide pour faire
Des vêtements de luxe ou bien du fil dentaire.

À nous tous réunis, belles et bonnes gens
Danseurs en goguette, citoyens de Saint Jean
Nous qui compatissons au sort de cet insecte
Nous qui avons sans doute un peu plus d’intellect
Je nous souhaite l’audace, et la soif, et l’esprit
D’être plus libres et fous que Bombyx mori.

Source de ce beau gif : https://un-gif-dans-ta-gueule.tumblr.com
Source de ce beau gif : https://un-gif-dans-ta-gueule.tumblr.com

Poésie jeunesse pour le spectacle Fauve (Cie Marie-Louise Bouillonne) 2020 - extraits

 

 

Nous dans not’ peau

 

sous le ciel qui dit miette

 

l’œil qui se carquille pour toutes les étoiles

 

bien sûr

 

une branche a craqué – où ça ?

 

 

 

nous dans not’ peau

 

plantés comme des quoi

 

sous le ciel qui dit miette

 

 

 

ça en fait, du silence

 

ça en fait, du silence

 

 

 

petits petits petits, qu’on s’dit, légers légers légers, qu’on est, comme

 

des cendres, oui

 

 

 

la lune, l’est là

 

la forêt bruisse

 

l’oreille s’hérisse

 

 

 

on sait rien comme on est

 

nous dans not’ peau qui

 

friselise

 

sous le ciel qui dit miette

 

on r’gard’ l’étoile qui file on s’dit

 

 

 

voilà ma peau

 

ceci est un arbre

 

ceci est un bois

 

on s’dit on s’dit comme ça

 

tout passe

 

tout bouge

 

tout est là.

 

 

 

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parfois, au lac qui réfléchit on va

 

voir de quoi qu’on a l’air

 

dans l’eau y’a nos deux faces

 

le vent fait c’qu’i sait faire

 

et nos deux faces se plissent comme le bout de nos doigts

 

 

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par nos souffles humides qui savent se trouver

 

par le bruit de nos pas quand nous sommes perdu·e·s

 

et parce qu’il arrive que nos joues se touchent

 

par mes pensées-broussailles qui se débobinent

 

quand ma voix vient rouler au creux de vos oreilles

 

et par les mille-mille qui fourmillent là

 

aussi, par l’arc-en-ciel qu’on a vu par hasard

 

et qu’est tellement beau qu’on ne peut rien en dire

 

par le fruit mûr qui va de ta bouche à ma bouche

 

par-ce que tu me fais, parce que je te suis

 

parce que je te sens, tout près, tout près, tout près

 

et parce que je feule au danger qui t’approche

 

tu le sais, grosse bête

 

que nous sommes ensemble

 

tu le sais, grosse terre

 

que nous sommes ensemble

 

n’aie pas peur, grosse tête

 

car nous sommes ensemble.

 

Marc Chagall, Le Paysage bleu, 1949, Gouache sur papier, Wuppertal, Von der Heydt Museum
Marc Chagall, Le Paysage bleu, 1949, Gouache sur papier, Wuppertal, Von der Heydt Museum

Poème à la grotte de Cougnac

 

STALABITES

Pubescents, verruqueux, sénescents, glanduleux
Et gouttes aux glands par milliers par millions
J’assiste médusée au congrès calcifié des ithyphalles antiques
Qui, majestueusement, rutilent
Dans l’obscure clarté de la fente cryptique

Boules de chocolat aux amandes pralines

(texte écrit pour un ciné-concert - voir la vidéo ici - commande du Festival Les Volcaniques 2016, sur une musique de Clément Gibert)

 

Faites tomber en grêle les amandes brunes

Dans une poêle sèche afin qu'elles roussissent

Sucrez et enrobez, qu'elles paraissent lisses

Et moites et lustrées comme la peau des prunes.

 

Brisez en gros carrés un chocolat corsé

Laissez-le s'alanguir dans la tiédeur exquise

D'un gentil bain-marie. Gardez-vous de brasser !

Patience promet la mollesse requise.

 

Le chocolat touchant l'infinie quiétude

Troublez cette harmonie en versant les pralines

Sur son corps assoupi. Puis, avec promptitude

Liez ces deux douceurs en des amours câlines.

 

Sur un plat de teflon de faïence ou de fer

Déposez soigneusement de petites sphères

De la tiède mixture. Attendez ! Plus qu'une heure !

Dans la blanche rigueur du réfrigérateur.

 

Enfin, les voici donc, ces délicats trésors

À leur vue, l'eau, déjà, inonde votre bouche

N'hésitez plus, croquez, maculez vos dents d'or

Vos lèvres et vos doigts, ne laissez rien aux mouches !